Livre « La Petite Fille aux yeux sombres »

Présentation

À DIX-SEPT ans, Jacques Panier étudiait la philosophie dans un lycée sous la direction du plus accueillant et du plus regretté des maîtres.

C’était un grand garçon mince, à la figure pâle, avec des traits fort nets et des yeux clairs d’adolescent.

Aux heures philosophiques, qui sont, comme chacun sait, de cinq à sept, il m’entretenait longuement sur un banc de la Plaine, proche le boulevard Chave.

Tantôt il réclamait avec force le rétablissement de l’esclavage antique, et m’en prouvait logiquement la nécessité : j’en étais moi-même assez partisan, à condition toutefois de figurer parmi les patriciens ; tantôt il voulait remplacer le Code par un seul article : « Il n’y a point de degré dans le mal, disait-il ; tous les crimes, tous les délits seront également réprimés, et par un châtiment qui mette le coupable hors d’état de recommencer, je veux dire la prévoyante amputation de la tête. » Tantôt enfin il discourait sur les femmes, et sur la place qu’elles occupent dans la société.

« Louis-Irénée, me disait-il, c’est le sexe triste qui gouverne le monde. Elles élèvent les enfants, elles font les mœurs, elles nous ligotent de conventions. Esclaves, nous sommes leurs esclaves. Céder sa place à une femme était jadis une marque d’affectueuse pitié ; aujourd’hui, ce n’est guère qu’une petite platitude soufflée par une obscure espérance… En amour, elles nous font la loi ; et tandis que nous n’avions qu’à les prendre, elles nous ont réduits à les obtenir… »