
LA PRIÈRE AUX ÉTOILES,L’OEUVRE DISPARUE DE MARCEL PAGNOL ADAPTÉE AU THÉÂTRE
20 octobre 2025
Sommaire
Marcel Pagnol aurait eu 130 ans en 2025. L’écrivain est né à Aubagne, au pied du Garlaban, le 28 février 1895, l’année même où les frères Lumière inventaient le cinématographe. Jolie coïncidence. Ce film à sa gloire est le troisième long-métrage d’animation de Sylvain Chomet. Les deux premiers étaient muets, celui-ci est parlant, et il s’agit d’un biopic, genre auquel il ne s’était encore jamais frotté. À l’issue de la projection du film, le 17 mai à Cannes, le réalisateur-dessinateur-scénariste a expliqué avoir travaillé huit ans sur ce projet, évoquant « une expérience magnifique, mais très dure ». Marcel et Monsieur Pagnol sort en salle mercredi 15 octobre.
Remerciant Marcel Pagnol, « la grande inspiration du film », il a dit son admiration pour tous les gens qui « l’ont porté et l’ont entouré ». « Je ne suis pas quelqu’un de facile, je le sais, a-t-il avoué. Je suis exigeant, certains diront emmerdeur, mais voilà, pour moi, un film, ça doit aller jusqu’au bout. » Pour Nicolas Pagnol, le petit-fils de l’écrivain, qui a sollicité le réalisateur, ce biopic est « une ode à la liberté, à la poésie et à l’amitié ».
Après Attila Marcel, son premier long-métrage en prises de vues réelles sorti en 2013 et d’autres expériences, le réalisateur revient au dessin animé qui a fait sa gloire. Révélé par La Vieille Dame et les Pigeons en 1997, célébré pour Les Triplettes de Belleville(Nouvelle fenêtre), il a été nommé trois fois aux Oscars avant de remporter son premier César en 2011 avec L’Illusionniste.
En préparant Marcel et Monsieur Pagnol, il dit avoir réalisé « à quel point la voix humaine dans l’œuvre de Pagnol est primordiale ». Il s’est inspiré des textes originaux et en a inventé d’autres en essayant d’écrire des dialogues « à la Pagnol ».
Sacrilège ou pas… c’est un Parisien, Laurent Lafitte, qui incarne Marcel Pagnol à tous les âges de sa vie d’adulte. Le comédien a pris des cours avec un coach pour » attraper » ce bel accent marseillais qui chante la Provence. Une performance tant l’acteur disparaît derrière son personnage animé. Sa voix est réellement méconnaissable.
Présenté en avant-première le 21 septembre à l’Eden-Théâtre de La Ciotat, un cinéma né trois ans seulement après Marcel Pagnol et qui projette régulièrement ses films, Marcel et Monsieur Pagnol a fait salle comble, ce qui est de bon augure.
Pour aborder l’histoire de Marcel Pagnol, le dessinateur a imaginé un double à l’écrivain vieillissant, en mal d’inspiration. Un petit garçon qui ressemble comme deux gouttes d’eau à l’enfant qu’il était et qui va l’aider à rassembler ses souvenirs pour écrire un feuilleton pour le magazine Elle. Ce petit ange gardien, qui apparaît et disparaît quand bon lui semble, est comme sa voix intérieure.
On a souvent dit que Marcel Pagnol était l’écrivain de l’enfance. Lui-même assurait qu’il n’avait jamais vraiment grandi. Grâce à ce jumeau qui lui permet de rembobiner le film de sa vie, Sylvain Chomet retrace l’évolution extraordinaire de l’industrie du cinéma au début du XXe siècle. Il montre notamment que Marcel Pagnol fait un voyage à Londres pour découvrir le cinéma parlant et qu’il est l’un des tout premiers en France à comprendre la révolution alors en germe. Il va, selon une formule citée dans le film, »faire éclater tous les murs du théâtre ».
Marcel Pagnol et son double dans le film « Marcel et Monsieur Pagnol » réalisé par Sylvain Chaumet, sortie le 15 octobre 2025. (WILD BUNCH DISTRIBUTION)
Enfant, Marcel Pagnol avait fait une promesse à sa mère, Augustine Lansot. Celle de briller un jour au firmament. Elle est la femme qu’il veut éblouir. Celle à qui il dédie ses premiers poèmes. La mort de cette mère adorée, alors qu’il n’a que 15 ans, sera la première tragédie de sa vie, avant la disparition de sa fille, la petite Estelle, en 1954.
Le film de Sylvain Chomet s’articule autour de cette promesse initiale que Marcel Pagnol, devenu adulte, ne cessera de vouloir honorer. En 1946, il est le premier cinéaste élu à l’Académie française. Le dessinateur revient aussi sur la relation complexe de Marcel Pagnol avec son père Joseph, instituteur républicain et anticlérical immortalisé dans « La Gloire de mon père ».
La truculence de Raimu
En anglais, le film porte un autre titre, plus direct : La Vie magnifique de Marcel Pagnol. En suivant le chemin de l’écrivain, un homme en mouvement perpétuel, passionné par la science et les inventions, un homme qui aimait les femmes, mais compagnon jaloux, Sylvain Chomet revisite l’histoire du XXe siècle agité par les guerres. Son parcours semé de deuils (il a aussi perdu son ami David Magnan, surnommé « Lili des Bellons » et un frère âgé de 34 ans) croise les grandes tragédies de l’histoire du monde.
Le réalisateur s’attarde aussi sur sa relation unique avec le comédien Raimu, l’un des plus beaux personnages de ce biopic dont on retrouve la truculence. On retrouve avec délices le bar de la Marine(Nouvelle fenêtre) et ses légendes dessinées : Pierre Fresnay (Marius), Orane Demazis (Fanny) et le grand « César » alias Jules Raimu. Marcel Pagnol ne condamnait et ne jugeait jamais ses personnages et le film souligne ce regard toujours tendre. Il montre aussi que dès 1933, il préféra sortir des studios et tourner en extérieur pour favoriser le naturel des situations, ce qui lui vaut d’être considéré comme l’un des pères du néoréalisme.
Image du film d’animation « Marcel et Monsieur Pagnol » de Sylvain Chomet (2025). (WHAT THE PROD / MEDIAWAN KIDS & FAMILY CINEMA / BIDIBUL PRODUCTIONS / WALKING THE DOG)
Les mots manquent pour dire la beauté des dessins, des paysages de Provence aux toits de Paris. Une séquence dans un jardin sous la neige est tout simplement magnifique. Avec un souci du détail évident, Sylvain Chomet montre, comme le dit joliment Nicolas Pagnol, qu’il « connaît son Petit Marcel Illustré par cœur ». Il émaille son film d’anecdotes amusantes : l’arrivée dans la capitale de Marcel et de sa femme qui patientent gare de Lyon, l’une des gares parisiennes, en espérant que le train reparte, l’adoption d’un mouton glouton qui finit par se plâtrer l’estomac, le rajout par Raimu de la fameuse partie de belote(Nouvelle fenêtre) que le dramaturge avait préféré couper…
Des images d’archives bien réelles sont intégrées dans ce récit de façon subtile. Elles apparaissent sur un écran de cinéma, quelques secondes seulement, mais suffisamment longtemps pour donner envie de voir ou de revoir les films originaux. De 1931 à 1954, Pagnol a produit et réalisé plus d’une vingtaine de films : Fanny, Topaze, Angèle, La Femme du boulanger, Manon des sources, Naïs ou encore Merluche, restaurés ces dernières années sous la supervision de Guillaume Schiffman, un autre fou de Pagnol. Le dessin très coloré de Sylvain Chomet accueille le noir et blanc de Marcel, comme un passage de témoin.
Il faut enfin saluer le travail sur les sons, le bruitage et la musique composée par l’Italien Stefano Bollani. La chanson du générique final est signée par le rappeur SCH. On sort de la salle des images plein la tête en se disant qu’il faudra revoir ce film, qui finit dans un tourbillon, aussi riche et foisonnant que le fut la vie de Marcel Pagnol.
20 octobre 2025
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